La transcription
par Vincent Genvrin

pages : 123


Mise en œuvre

Voici, par ordre de complexité croissante, la description des différentes pièces. Par hypothèse nous supposerons l’organiste seul à sa console.

A) Récits

Sonata I

C’est la seule pièce qui trouve son équivalent exact dans la musique d’orgue française de l’époque. Il s’agit du Récit de Flûte, appelé parfois Morceau de Flûtes voire Flûtes tout court, dans la mesure où il ménage autant de dialogues que de récits.

Trois plans sont requis : Positif, Grand orgue accouplé et Echo, avec par conséquent deux possibilités pour les récits (Grand orgue accompagné au Positif et Positif accompagné par l’Echo). La Pédale soutient le tout, avec cette particularité qu’elle s’équilibre avec le Positif, sans que l’on dispose d’une quelconque Tirasse. Quand on joue au Grand orgue (accouplé), il y a par conséquent nécessité de jouer à la main gauche une doublure au moins ponctuelle de la basse.

[Registrations employées pour l'enregistrement]

Sonata III

Haydn conçoit ici une sorte de mouvement de concerto dont la partie soliste serait confiée aux violons I. Seule irrégularité dans la forme : la première exposition, confiée traditionnellement au « tutti », laisse place à de simples accords, avant l’entrée du « soliste » sans autre préambule.

Le mouvement de concerto a été abondamment traité par les organistes français, mais il s’agit toujours de mouvements rapides, avec usage du Grand chœur pour les « tutti ». Nous avons opté pour une formule inédite, intermédiaire entre le Récit et le Concerto, opposant le Hautbois récitant à deux plans de Flûtes, Positif et Grand orgue accouplé. La Trompette d’Echo simule quelques pp de la partie soliste.

[Registrations employées pour l'enregistrement]

Sonata II

Nous abordons à présent les pièces combinant deux voire trois modèles typiques.

On peut reconnaître successivement dans la Sonata II un noble Récit de Trompette, un Récit de Hautbois élégiaque et un troisième Récit au caractère beaucoup plus léger, que nous confions de nouveau à la Trompette. Ce dernier, à vrai dire, conviendrait mieux au Cornet, mais il ménage des effets d’écho. Or, en cette fin du XVIIIe siècle, du moins à Paris, le Cornet d’Echo est délaissé au profit d’une Trompette destinée aux « effets de cors ». Dans la mesure où l’effet d’écho requiert deux timbres identiques, seulement distingués par la dynamique et l’impression d’espace, nous avons dû adapter le jeu récitant à sa réplique…

L’accompagnement du premier Récit de Trompette est sophistiqué, avec trois plans : Pédale, Positif (Flûtes), Grand orgue (Flûtes et Bourdon 16). Ce dernier clavier est joué avec le pouce de la main droite, technique très pratiquée jusqu’au début du XVIIIe siècle mais dont nous ignorons si elle existait encore à l’époque qui nous intéresse.1

L’accompagnement du Récit de Hautbois est au contraire très simple, avec une basse d’Alberti que l’on trouve dans la réduction pour piano. Par deux fois, le Récit se mue en Trio, avec adjonction d’une voix en tierces parallèles.   

La présence des Fonds du Grand orgue permet de ménager quelques f dans les transitions, de caractère généralement dramatique.

L’alternance de deux solistes différents (Trompette et Hautbois) contraint à quelques changements de jeux : ils s’effectuent sans problème aux points d’orgue.

[Registrations employées pour l'enregistrement]

B) Chœur et « Quatuor »

Sonata IV

Le pathétique de ce morceau est magnifiquement traduit par un Chœur de Voix humaine, en dialogue comme il se doit avec le Nazard du Positif, sans oublier quelques récits de dessus et de basse, ici très ponctuels. Seule entorse à la tradition : le chœur est attaqué d’emblée, sans l’introduction au Positif.

Par deux fois, cet élément est interrompu par un Récit de Tierce, mélange de moins en moins à la mode après 1760 (Lasceux n’en souffle mot), mais plus adapté que le Cornet auquel sont toujours dévolus des traits brillants.2 La proximité du Positif de dos donne à ce véritable cri de désespoir le caractère qui convient. L’accompagnement, réduit à quelques rares notes de Pédale, accentue le sentiment de solitude. Deux accords isolés posent toutefois un problème, dans la mesure où aucun clavier manuel n’est disponible. Nous le résolvons en faisant appel à la Flûte 4 de Pédale seule.

Aux Flûtes d’Echo et de Positif sont réservés quelques épisodes, en particulier la fin en decrescendo plus développée que dans les autres pièces.

Les changements de jeux demeurent relativement simples et facilités par les nombreux silences.

[Registrations employées pour l'enregistrement]

Sonata VII

Le texte de Haydn est caractéristique de la « fausse polyphonie » très employée à l’époque. Un « solo » (par ex. mes. 1-6) se mue à plusieurs reprises en « trio » (mes. 6-8) ou en « quatuor » (mes. 21-24). Mais il y a peu de passages à quatre voix réelles : le plus souvent il s’agit de trios avec une voix supplémentaire « à éclipses », par le jeu des échanges et des doublures (mes. 45-47), voire réduite à une seule note pour enrichir ponctuellement l’harmonie (dernière croche de la mes. 7).

Il est intéressant de citer ici une remarque de Lasceux :

Comme les parties [d’un Quatuor] ne peuvent pas chanter toutes ensemble, il y en aura toujours une […] qui ne sera que de remplissage, et trois chantantes.

On reprocherait un peu vite à Lasceux un manque de métier si l’on ne constatait chez Haydn la même répugnance à faire « chanter » plus de trois parties à la fois, pour ne pas dire deux, l’une d’entre elles étant la basse. Le procédé employé par les deux musiciens pour concilier chant naturel et plénitude harmonique est cependant différent en fonction de « l’instrument » qu’ils manient : les échanges et doublures, parfaitement adaptés au « fondu » du quatuor à cordes sont d’un effet beaucoup moins heureux sur les timbres colorés de l’orgue français. Lasceux résout le problème en faisant appel à une partie complète de « remplissage », soigneusement évitée par Haydn qui craint d’alourdir son harmonie.3 Il a donc été nécessaire, pour faire sonner certains passages de cette Sonate sur deux jeux d’anches, de « réaliser » aux endroits nécessaires une quatrième voix aussi discrète que possible.

Ce Trio/Quatuor mêlé de Récits, que nous confions au Hautbois et au Basson4, est combiné à deux éléments. Le premier est ce que Lasceux nomme effet de cors, consistant en un motif caractéristique, contrepointé comme il se doit par une seconde voix en sixtes, quintes et tierces, avec effet d’écho : il est confié aux Trompettes du Récit5 et bien sûr de l’Echo, enfin dans son rôle « cynégétique ».

Le deuxième élément est un solo aérien et virevoltant qui sonnerait à la perfection sur une Flûte 4 seule, discrète allusion aux fameuses pièces pour FlötenUhr (horloge à flûte) de Haydn. Ce jeu étant absent des orgues de François Henri Clicquot, nous avons fait appel au procédé décrit par Dom Bedos pour « l’imitation des petits oiseaux » : les Nazards seuls joués une quinte plus bas, avec pour conséquence un effet en 4 pieds.6 On peut voir dans cette curieuse irruption ornithologique associée à « l’envol » de l’âme du Christ7 un hommage inattendu à Olivier Messiaen… 

On remarquera la superposition des deux éléments secondaires (mes. 64-67), d’un effet très « symphonique » grâce à la Trompette d’Echo.

La structure complexe de cette pièce conduit à changer souvent les jeux. Pour la jouer sans assistant, il serait nécessaire de remplacer les Nazards par un plus banal (et moins volatil) Cornet accompagné par les Flûtes.

[Registrations employées pour l'enregistrement]

C) Pièces employant le Grand chœur

Terremoto

Pièce à effets évoquant la section « apocalyptique » des versets Judex crederis du temps, les clusters en moins ! Les « Bombardes extraordinaires & d’un éclat capable d’effrayer »8 sont ici dans leur rôle.

[Registrations employées pour l'enregistrement]

Introduzione

La première section est un parfait Grand chœur que l’on pourrait croire conçu pour l’orgue, alternants grands accords avec rythmes pointés, épisodes polyphoniques et récits. Il requiert quatre plans : Bombarde (ff), Grand-orgue (f), Positif (p), ce dernier clavier servant à accompagner les récits joués au Grand-orgue ; il y a également quelques effets d’écho (pp). La Pédale ponctue en doublure, avec usage possible du ravalement.9

Ce Grand Chœur est combiné à un Récit que nous confions à la Trompette, accompagné par les Flûtes du Positif et de la Pédale. Par trois fois, des changements de registres sont donc nécessaires, facilités par d’opportuns points d’orgue : ils consistent à alterner jeux d’anches et jeux d’accompagnement aux claviers concernés. Le Grand-orgue et la Bombarde demeurent disponibles pour quelques interventions ; une stricte observance de la règle « bédienne » réclame d’enlever l’accouplement pour éviter le mélange des Flûtes et des grandes anches.

Dans les concertos auxquels s’apparente cette pièce, les organistes postclassiques évitaient les changements de registres en se passant d’accouplement Positif/Grand-orgue et en laissant les Flûtes du Positif et de la Pédale tout du long, cette dernière étant sollicitée pour soutenir en doublure le Grand chœur. Cette disposition n’est cependant pas possible ici, les passages sur le Grand chœur réclamant l’emploi du Positif et, ponctuellement, l’appoint d’une Pédale indépendante.

Les nombreux silences ménagés par la partition autorisent quelques changements de registres supplémentaires : Nazard du Positif comme plan intermédiaire (mes. 17-19, 43-44), diminuendo au Positif pour accompagner la Trompette d’Echo mes. 24, fin en diminuendo.

Le dialogue des Trompettes de Récit10 et d’Echo n’est pas sans évoquer la boîte expressive. Rappelons que, dans l’orgue postclassique finissant, le Récit expressif est un « deux en un » contenant les jeux des anciens petits claviers, la manipulation de la cuiller permettant d’en faire à volonté un Récit ou un Echo, avec en outre une possibilité d’éloignement/rapprochement progressif.11

[Registrations employées pour l'enregistrement]

 Sonata V

Cette pièce se distingue des autres par son ampleur symphonique et l’originalité du dessin en pizzicato qui accompagne l’exposition du motif principal. Ce pizzicato ne se reconnaît dans aucune « recette » connue de l’orgue postclassique. Nous avons choisi un mélange irrégulier (Nazard du Positif sans Prestant) joué staccato et soutenu par les Flûtes de Pédale, tandis que le motif principal se fait entendre sur la mystérieuse Trompette d’Echo.

Les autres parties consistent en un vaste Grand chœur. La partition originale ne comprend aucune indication de crescendo, peut-être sous-entendu. Quoi qu’il en soit, on demeure confronté, à l’orgue, au problème consistant à passer du p au ff au cours d’un développement continu, sans les commodes points d’orgue de l’Introduzione. Les changements de claviers sont évidemment précieux mais ne résolvent pas le problème du Positif et de la Pédale auxquels est confié le motif staccato. Les registrants sont donc indispensables pour jouer cette pièce, avec un changement brusque (mes. 88).

La transcription des Sept Paroles pour un orgue postclassique atteint ici ses limites. Seuls des appels de jeux de combinaison pour la Pédale et le Positif pourraient nous tirer d’affaire ; on remarquera que c’est précisément à ces deux plans sonores qu’Aristide Cavaillé-Coll en fera l’application pour la première fois sur l’orgue de la basilique Saint-Denis (1841), indication précieuse d’une utilisation purement postclassique. En introduisant ces « commodités », rendues possibles par la machine pneumatique, l’illustre facteur répondait en effet à un besoin immédiat plus qu’il ne prédisait l’avenir, où l’on fera de ces pédales un usage totalement différent (crescendo par superposition progressive des anches aux fonds).12

[Registrations employées pour l'enregistrement]

Sonata VI

La pièce combine Grand chœur et Récit de Cornet. Nous retrouvons les problèmes posés par la Sonata V mais ils sont ici simples à résoudre dans la mesure où Positif et Pédale ne sont pas absolument indispensables au Grand chœur. Seuls en souffriraient le p de la mes. 4 et certains équilibres (mes. 9, 10, 57-62), sans compter le manque à gagner en matière de puissance et de netteté. Les assistants de registres remédient à ces inconvénients et autorisent un plan intermédiaire bien utile (Nazard) mes. 28-30 et 87-89. On constate mes. 50 un changement sans solution de continuité que l’accompagnement sur les Flûtes d’Echo depuis la mes. 46 permet de résoudre.

Comme dans la pièce précédente, l’orgue des années 1840 pointe le bout de son nez : nous sommes bien conscients que les facilités que nous donne ici le texte sont l’effet d’un pur hasard, Haydn n’ayant évidemment pas songé aux contraintes d’une transcription pour un orgue français…

[Registrations employées pour l'enregistrement ]

Page suivante


1 Le clavier de Bombarde, toujours placé en troisième position entre Grand-orgue et Récit n’était pas un obstacle au jeu sur deux claviers à la fois : il suffisait d’accoupler le Grand-orgue sur la Bombarde sans aucun jeu tiré à ce dernier clavier.

2 A Saint-Nicolas nous avons utilisé le Cornet du Positif, le jeu de Tierce posant des problèmes d’alimentation et d’accord. Le Cornet de Récit a été sollicité pour les quelques notes qui descendent en dessous de l’ut 3.

3 Les pièces pour instruments à vent sont beaucoup plus linéaires que celles pour cordes : c’est évidemment sur elles que l’orgue a pris modèle.

4 A Saint-Nicolas nous avons employé la Voix humaine, le Basson de Clicquot ayant disparu en 1930. Nous en avons profité pour dépasser la limite aiguë ordinaire de ce dernier jeu (fa3).

5 Première Trompette du Grand-orgue à Saint-Nicolas des Champs, dépourvu de Trompette de Récit.

6 Certaines notes descendant en dessous de la tessiture ont dû être jouées à la Pédale de Flûte 4 non transposée, exercice à vrai dire assez troublant.

7 La couverture de la transcription de Battmann comporte de petites vignettes mettant en scène les différentes Paroles. Pour la septième, l’artiste a imaginé une silhouette fantomatique flottant au dessus de la Croix. Haydn avait-il en tête une image semblable quand il a composé ces passages ?

8 Réflexion d’un témoin lors de la première audition de l’orgue Clicquot de Saint-Nicolas des Champs (Louis Petit de Bachaumont, Mémoires secrets, 7 décembre 1776).

9 Ce ravalement a malheureusement disparu en 1930 à Saint-Nicolas des Champs.

10 A Saint-Nicolas, Trompette de Bombarde, le Récit étant dépourvu de Trompette.

11 Cf. le Récit expressif de Ducroquet à Saint-Germain-l’Auxerrois (1848) : Flûte 8, Bourdon 8, Cornet V, Trompette 8, Hautbois 8, Cor anglais ; 42 notes (ut2-fa5) comme à l’Echo de Saint-Sulpice, 37 notes (fa2-fa5) étant l’étendue la plus courante.

12 L’orgue de Saint-Denis ne comportait pas d’appel d’anches Récit (pourtant à 54 notes), accessoire indispensable du crescendo des années 1860 (cf. Franck).


Page précédente Retour Page suivante