L'orgue postclassique parisien
(1733-1833)

par Vincent Genvrin

pages : 1234


Nouvelle musique

De la musique jouée sur les orgues somptueux du temps de Louis XV (mort en 1774, deux ans après d’Aquin), on ne sait pas grand-chose. Les célèbres organistes de ce temps n’ont presque rien édité, à l’exception de d’Aquin (Livre de Noëls, 1757, deux autres Livres annoncés en 1773 mais dont on n’a aucune trace) et Michel Corrette (quatre Livres dont un de Noëls et Douze Offertoires – ces derniers viennent d'être retrouvés –, Concertos avec orchestre).1 Les manuscrits sont encore moins nombreux : mis à part quelques livres de tribune provinciaux, on ne peut citer que les essais du jeune Balbastre (Manuscrit de Dijon) ; les œuvres  laissées par Calvière et confiées à d’Aquin, certainement d’un grand intérêt, ont toutes disparu2 ; quant à Armand Louis Couperin, il ne laisse que deux piécettes datées de 1775. On suppose que cette génération pratiquait, à l’instar de d’Aquin et du jeune Balbastre, un style proche de celui de Rameau, lui-même organiste.3

Après 1760, changement à vue : le style « classique » entre en scène. Celui-ci est largement diffusé par le biais du Concert spirituel. Cette institution de concerts déjà ancienne (1725) propose à un public parisien friand de nouveautés une quantité impressionnante d’œuvres italiennes et germaniques d’un style nouveau, parmi lesquelles des « Symphonies » en provenance de Manheim et nombre de concertos dédiés aux instruments à vent. Les œuvres françaises à l’imitation de ce nouveau style ne vont pas tarder à apparaître dans tous les lieux de diffusion musicale, parmi lesquels, bien entendu, les églises. 

On croit distinguer chez les organistes du temps de Louis XVI une opposition entre « anciens » et « modernes ».

Les épigones de Rameau ne voient pas leur célébrité diminuer : Louis Claude d’Aquin (1694-1772) attire toujours les foules quelques jours avant sa mort et son Livre de Noëls connaît une seconde édition posthume en 1777. L’infatigable Michel Corrette (1707-1795) publie avec toujours le même succès. Armand Louis Couperin (1725-1789)4 terrifie les âmes jusqu’à l’aube de la Révolution avec ses orageux Judex crederis. Claude Balbastre (1727-1799) joue encore un rôle important après la chute de la monarchie. Sans doute cette pérennité a-t-elle pour prix une adaptation raisonnable au style nouveau, ce dont témoignent les dernières œuvres de Corrette et Balbastre. Plus exactement, ces auteurs opèrent une habile synthèse entre tradition autochtone et nouveauté étrangère.5

Or, ce réflexe atavique, qui a permis à l’art français d’absorber toutes les influences depuis un siècle et demi, se voit remis en cause par la plus grande partie de la jeune génération. Pour eux, le style étranger doit régner sans partage et imposer ses paradigmes : harmonie simplifiée, ornementation réduite, cadences stéréotypées, primat donné à une généreuse mélodie sertie dans des formules d’accompagnement également stéréotypées. Les formules instrumentales sont calquées sur les modèles orchestraux et chambristes importés d’Allemagne (symphonie, concerto, symphonie concertante, trio, quatuor et quintette à cordes, pièces pour instruments à vent), et ne laissent subsister de la tradition que le minimum (Plain-chant en basse, Fugue, Duo, Trio à deux dessus).  

C’est cette musique véritablement nouvelle qui va résonner dans les églises de Paris puis de toute la France, sous les doigts de Jean-Jacques Beauvarlet-Charpentier (1734-1794), Guillaume Lasceux (1740-1831) Josse François Joseph Benaut (c.1743-1794). Au contraire de leurs prédécesseurs, ces organistes vont publier avec abondance ; seul un Nicolas Séjan (1745-1819) se tiendra à l’écart de cette frénésie éditoriale, les quelques pièces qu’il a laissées n’étant éditées qu’après sa mort.

La facture, nous l’avons vu, n’a pas connu pareille rupture : son adaptation s’opère par petites touches (Hautbois, Basson, nouvel Echo), se contentant d’amplifier le mouvement de fond amorcé dans les années 1730 (Fonds 8, chœur d’anches), qui n’était lui-même qu’une relecture de l’orgue « Grand Siècle ». Il est vrai que la facture d’orgue demeura jusqu’à la Révolution sous la surveillance de la frange « traditionaliste » (d’Aquin puis Balbastre)6. Surtout, son patient artisanat, encore étranger à des progrès scientifiques et technologiques d’ailleurs balbutiants, n’était pas en mesure d’effectuer un tel « virage sur l’aile ». 

De là ce paradoxe, qui fait de la musique d’orgue postclassique une curieuse association entre langage international et sonorités « du terroir ».

Une soudaine popularité

Si, pour les Parisiens, l’orgue faisait partie depuis longtemps du « paysage » visuel et sonore, en cette fin du XVIIIe siècle ils semblent le redécouvrir. Les réceptions d’instruments nouveaux ou rénovés attirent la foule des curieux, et lorsque tel organiste célèbre se fait entendre (d’Aquin, Balbastre), il devient bientôt nécessaire d’établir un service d’ordre.7 On va même jusqu’à organiser des auditions en dehors des offices religieux, audace qui ne sera pas sans susciter des conflits.8 Preuve d’un intérêt musical mais aussi technique, François Henri Clicquot ouvre au public, trois jours durant, « l’intérieur » de son chef d’œuvre de Saint-Sulpice (1781).9

C’est certainement le caractère imposant et les inépuisables ressources des instruments postclassiques qui attiraient les auditeurs, de même que la musique « à effets » que l’on y jouait. On peut supposer que la construction d’un orgue au Concert spirituel en 1748, encore agrandi en 1762 par Somer, et illustré par les plus grands artistes du moment, en soliste ou en concerto avec orchestre, a contribué à ce surcroît de popularité. Mais ce n’est pas tout. Chose impensable quelques années plus tôt, une véritable « stratégie publicitaire » fut mise en place, à la fois cause et conséquence de l’effet de mode : affiches et annonces dans la presse, alors en pleine expansion, sont requises pour les moments forts que constituaient les réceptions d’orgues, les auditions de Noëls pendant l’avent et les Te Deum alternés des fêtes patronales.10

La Révolution

C’est dans ce contexte qu’intervient la Révolution. Nous analyserons en détail cette période, dans la mesure où elle demeure mal connue11, souvent mal comprise, et se révèle une étape essentielle dans l’histoire de l’orgue postclassique.

Contrairement à une idée répandue, la Révolution ne fut pas une catastrophe pour la facture et la musique d’orgue, surtout à Paris.

En province, la vente des biens conventuels (1789) fut une aubaine pour les paroisses, lesquelles purent acquérir, généralement après le Concordat (1801), les instruments « dernier cri » des riches abbayes12 ; à moins que les églises abbatiales ne fussent devenues paroissiales, les orgues restant en place, ce qui était une autre manière pour les fidèles de s’approprier les biens monastiques.13

A Paris, ces opérations demeurèrent limitées, les grandes paroisses étant dotées depuis une trentaine d’années d’instruments plus grands et plus modernes que la plupart des couvents.14 Il faut cependant noter, bien que n’étant pas liés aux évènements révolutionnaires, plusieurs déménagements d’orgues provenant d’églises démolies dans le cadre d’une réorganisation à la fois ecclésiastique et urbaine menée dans les toutes dernières années de la monarchie.15  

La chute de la monarchie (1792) ouvre une période d’anticléricalisme virulent. L’engouement dont l’instrument à tuyaux était l’objet depuis une vingtaine d’années en fait une cible privilégiée comme symbole de la « superstition » : la République, en quête d’argent, décide la vente des orgues appartenant aux ci-devant paroisses le 6 mars 1795. Mais cet engouement va provoquer un effet en retour. Autant la vente des orgues des couvents n’avait suscité aucune émotion, et même fait quelques heureux, autant celle des orgues des paroisses va déclencher une forte réaction populaire16 : de cette époque datent les innombrables anecdotes contant le sauvetage d’un instrument grâce aux hymnes révolutionnaires joués par l’organiste, sous les applaudissements de ceux qui, quelques mois plus tôt, se pressaient pour écouter Noëls et Te Deum.17

Situation jugée suffisamment embarrassante au plus haut niveau pour que soit saisie la Commission temporaire des Arts, créée en 1793, dont une section était chargée des orgues. Réunissant organistes (Balbastre, Séjan) et facteurs (Pierre et Pierre François Dallery, Somer aîné et jeune) sous la houlette du directeur du Conservatoire des Arts et Métiers, Claude Pierre Molard, elle obtient la suspension de l’arrêté de vente dès le 21 juillet 1795.

Son action ira très au delà de simples mesures de conservation et d’inventaire.18 Elle entend en effet mener une politique active en faveur de l’orgue, non en tant que vestige d’un passé révolu – but initial de la Commission – mais comme instrument vivant, chantre des vertus et des triomphes de la République.19 Du riche patrimoine légué par l’Ancien Régime, ne furent jugés dignes de subsister que les grandes réalisations récentes, presque toutes signées François Henri Clicquot, dont l’ampleur et l’esthétique répondaient au but fixé. Quant aux instruments de petites dimensions et/ou démodés, considérés avec mépris, ils furent impitoyablement détruits. Les plus intéressants d’entre eux étaient toutefois conservés en vue de servir comme « pièces détachées » à divers projets que Molard avait en tête, particulièrement la construction dans la chapelle des Arts et Métiers de « l’orgue le plus beau et le plus complet possible », conçu sur le modèle du chef-d’œuvre de Clicquot à Saint-Sulpice.20  

La création de plusieurs cultes laïques va offrir un débouché à l’instrument ci-devant roi, tant à Paris que dans les grandes villes de province. Outre le culte de la déesse Raison et de l’Être suprême (à partir de 1794), l’expérience la plus durable et la plus répandue demeure la Théophilanthropie (1796-1801).

En 1797, elle dispose de dix-huit lieux de culte à Paris, pour la plupart des églises possédant un orgue : temple de l’Hymen et de la Fidélité (Saint-Nicolas des Champs), du Commerce (Saint-Merry), de l’Agriculture (Saint-Eustache), du Génie (Saint-Roch), de la Concorde (Saint-Philippe du Roule), de la Victoire (Saint-Sulpice), de la Piété filiale (Saint-Etienne du Mont), de la Bienfaisance (Saint-Jacques du Haut Pas), etc., auxquels s’ajoute le chœur de Notre-Dame dédié à la Raison. On constatera le bon goût de ses adeptes en ce qui concerne le choix des lieux et donc des instruments, presque tous de grands Clicquot, dont ils faisaient un large usage.

Ce sont bien ces cultes nouveaux, dont les cérémonies à la fois solennelles et sentimentales s’accordaient bien avec l’esthétique postclassique, qui vont permettre à l’orgue de survivre, et non la reprise partielle du culte catholique (1793), volontairement aussi discrète que possible. Ils furent par ailleurs l’occasion de développer un rôle déjà expérimenté durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, celui d’accompagnateur du chant collectif.

Le Concordat de 1801 n’eut donc pas pour conséquence la « réouverture » des églises, comme on le voit souvent écrit, mais leur affectation exclusive à un culte catholique rénové, la Théophilanthropie étant interdite. Alors que tout danger semble définitivement écarté, on constate que, à Paris, les grands instruments construits ou restaurés par François Henri Clicquot de 1762 à 1790 ont été conservés, pour certains in situ21, pour d’autres déplacés d’un édifice détruit ou désaffecté à une église qui en avait besoin.22 On n’en compte que deux qui, victimes des « évènements », nécessitent d’être reconstruits en réutilisant des éléments d’orgues démontés.23 Un seul orgue majeur a totalement disparu : celui de Saint-Paul. La politique de la Commission temporaire des Arts a donc été appliquée à la lettre.

En province la situation semble assez proche de celle de Paris, avec la conservation, in situ ou non, des grands instruments du XVIIIe siècle, à quelques malheureuses exceptions près.24

Certes, en termes de patrimoine (au sens où nous l’entendons aujourd’hui), le bilan est lourd, avec, à Paris, une petite moitié des grands instruments et 95 % des petits partis à la fonte.25 Mais la partie la plus précieuse, aux yeux des organistes du temps, était bel et bien préservée.26 Mieux, l’orgue semble avoir consolidé sa position dans la société, galvanisée par les épreuves et les combats. Pour autant, et malgré l’apaisement de la question religieuse, bientôt suivi du rétablissement de la monarchie, un certain nombre d’obstacles demeurent.

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1 Le fameux Livre de Noëls de Balbastre (1770) est écrit pour le clavecin ou le pianoforte.

2 Rappelons que sa fameuse « pièce » est sans doute un faux commis par Fétis. Elle fait d’ailleurs appel à un Hautbois qui n’apparut qu’après sa mort.

3 Hippolyte et Aricie, son premier opéra, a été créé en 1733, date de l’achèvement de l’orgue de Notre-Dame, alors que disparaît François Couperin. L’année précédente avait été marquée par la mort de Louis Marchand, remplacé par Louis Claude d’Aquin aux claviers de sa « chère veuve », l’orgue des Cordeliers.

4 Cet artiste dont on ne conserve que deux œuvres pour orgue demeure difficile à situer d’un point de vue stylistique. Bien que novateur dans le domaine de la facture (cf. supra), il semble relever de la même tradition « ramiste » que son contemporain Balbastre. Voici ce qu’écrit Charles Burney à son sujet : « […] son style n'est pas aussi moderne qu'il pourrait l'être, mais vu son âge, le goût de sa nation, les changements que la musique a éprouvés depuis sa jeunesse, il est fort bon organiste, brillant dans son exécution, varié dans sa mélodie et magistral dans ses modulations » (Charles Burney, Voyage musical dans l'Europe des lumières, trad. Michel Noiray, Flammarion, pp. 75-78). 

5 Cf. de Corrette les Pièces d’orgue dans un genre nouveau (1787) et les Quatre Messes a deux voix égales avec accompagnement de l’orgue (1788), de Balbastre le Recueil de Noëls (1770) pour clavecin ou pianoforte et la célèbre Marseillaise pour pianoforte (1792). La composition de l’orgue de Balbastre, Saint-Roch, après les travaux d’agrandissement de Clicquot (1777) reflète cette synthèse : Quarte de Nazard/Larigot et dessus de Flûte/Hautbois au Positif, Cornet et Flûte/Trompette à l’Echo, Gros Nazard et Bombarde manuels, Récit toujours à l’ut3 avec Trompette. La modernisation de l’orgue de d’Aquin, Saint-Paul, s’effectuera sous le règne de son successeur Beauvarlet-Charpentier (c.1782).

6 Du moins pour les orgues d’église. Les compositions d’orgues privés qui nous sont parvenues s’éloignent parfois radicalement du modèle légué par Dom Bedos, comme par exemple cet orgue de Clicquot mis en vente en 1779 par « M. Bluteau, Officier du roi, à Garches » et composé « d’un prestant, basson, bourdon, flûtes, hautbois et clarinettes » (Philippe Lescat, op. cité, I/166).

7 Ce fut le cas lorsque le jeune Claude Luce fit entendre pour la première fois, en la fête patronale, l’orgue de Saint-Nicolas des Champs tout juste achevé (Louis Petit de Bachaumont, Mémoires secrets, 7 décembre 1776). En 1762, l’archevêque de Paris interdit à Balbastre de jouer la messe de minuit à St-Roch « à cause de la multitude qui venoit pour entendre l’organiste, et qui ne conservoit pas le respect dû à la sainteté du lieu » (Sébastien Mercier, Tableau de Paris, 1782).

8 Cf. les Noëls joués à l’issue d’un Salut par Antoine Desprez, futur organiste de Saint-Nicolas des Champs, en l’église du Saint-Sépulcre en 1775, occasionnant un échange « musclé » entre les marguilliers et le chapitre cathédral (Philippe Lescat, op. cité, III).

9 Ibidem, II/312. On comprend mieux pourquoi Clicquot, comme plus tard Cavaillé-Coll et pour les mêmes raisons, soignait tant l’aspect visuel de l’intérieur de ses instruments. Les formes géométriques pures des tuyaux (cylindres, cônes, doubles et triples cônes), ordonnées dans un ensemble parfait excluant tout décor ornemental, ne sont pas sans rappeler l’esthétique néoclassique d’un Claude Nicolas Ledoux (1736-1806), contemporain de Clicquot.

10 Ibidem,  II et III. Dans son article, Philippe Lescat reproduit toutes les annonces ayant un rapport avec l’orgue parues dans les Affiches de Paris, périodique bihebdomadaire puis quotidien(1746-1792).

11 Le seul organologue à avoir travaillé de manière systématique sur cette période est François Sabatier, auteur d’une thèse de musicologie présentée au CNSM de Paris en 1972, Les orgues en France pendant la Révolution (1789-1802). Les renseignements qui suivent sont tirés pour la plupart de cette remarquable étude.  

12 Citons, parmi d’innombrables exemples, l’orgue des Jacobins de Toulouse transféré à St-Pierre des Chartreux (1792), celui de l’abbaye St-Jean des Vignes à Soissons fusionné avec celui de la cathédrale (1792-1804), St-Antoine-l’Abbaye à St-Louis de Grenoble (1805), Boulbonne à Cintegabelle (1805-1819), Clairvaux à la cathédrale de Troyes (1808), Ste-Croix de Bordeaux à la cathédrale (1810), etc.

13 Eglise abbatiale de Gellone à St-Guilhem-le-désert devenue église paroissiale en 1790, idem pour la prieurale de Souvigny en 1792, St-Bénigne de Dijon devenue cathédrale en 1792, St-Etienne de Caen devenue paroisse en 1802, etc.

14 Transfert de l’orgue de la Sainte-Chapelle à St-Germain-l’Auxerrois (1791-1795?), Jacobins de la rue St-Honoré à St-Philippe du Roule (1791-1799), abbaye St-Germain des Prés à St-Eustache (1800-1802), abbaye St-Victor à St-Germain des Prés devenue entre temps église paroissiale (1802-1810). Pour ce qui est des attributions d’églises conventuelles aux paroisses, le seul exemple caractéristique est l’église des Jacobins de la rue St-Dominique devenue St-Thomas-d’Aquin en 1802 (orgue démonté en 1792 en vue d’être installé au Panthéon puis remonté à sa place d’origine en 1802). L’église des Jésuites, devenue St-Paul-St-Louis, remplaça son orgue disparu par un assemblage de deux instruments démontés (Dallery, 1805).

15 Sts-Innocents à St-Nicolas du Chardonnet (1787-1790), St-Benoît à St-Jacques du Haut-Pas (1792-1793), St-Jean en Grève à St-Eustache (?-1792), ce dernier instrument remplacé en 1802 par l’orgue de St-Germain des Prés.

16 Par exemple à Amiens, Mende, Nancy, St-Maximin-du-Var, St-Merry de Paris où sont organisés des comités de défense.

17 Un exemple entre mille, à Saint-Pierre de Caen : « Un jour, paraît-il, mais le fait nous semble aussi douteux qu’étrange, on attela six chevaux au buffet, afin d’enlever d’un trait, si cela était possible, la boiserie et l’instrument. Ce fut alors que l’organiste, Salomon Leroy, entreprit de haranguer la foule en faveur de son orgue ; et pour ajouter à l’éloquence de sa supplique, il s’avisa de jouer la Marseillaise. Il n’en fallut pas davantage pour décider, séance tenante, la conservation de l’instrument. » (Jules Carlez, Le grand orgue de Saint-Pierre de Caen reconstruit par M. A. Cavaillé-Coll, à Paris, 1881.) La foule est toujours présente dans ce genre d’épisode : c’est elle, émue par le jeu de l’organiste, qui persuade les autorités de renoncer au vandalisme. L’anecdote semble avoir été enjolivée au fil du temps, preuve de sa présence dans la mémoire collective jusque dans les années 1880, d’ailleurs mise à distance par l’érudit organiste. La scène est un peu différente à Saint-Nicolas des Champs, avec un caractère moins populaire et plus politique : « L’organiste Desprez […] mit à la disposition des chefs du club maratiste ses talens incontestés pour toucher sur cet instrument les airs chéris de la démagogie et accompagner le chant de la Marseillaise. Sa proposition fut acceptée et l’orgue fut sauvé. » (Abbé Pascal, Notice sur la paroisse de Saint-Nicolas des Champs, 1843, p. 42). On verra que la décision de sauvegarder les orgues parisiens sera moins la conséquence d’une mobilisation populaire qu’une mesure jacobine, dans le plein sens du terme.   

18 Cf. le fameux « rapport Molard », un des documents les plus importants pour la connaissance  de l’orgue postclassique, découvert par Pierre Hardouin et publié en 1970 dans la revue Renaissance de l’orgue. C’est l’unique source pour la composition de l’orgue Clicquot de Saint-Nicolas des Champs avant les années 1840.

19 D’après Antoine Desprez, organiste de Saint-Nicolas des Champs, l’orgue devait servir à « accompagner nos chants civiques, peindre les sentiments des vrais républicains, peindre aussi les foudres que nous préparons aux tyrans » (lettre adressée à la Commission, 1795). Il est probable que l’appartenance à la franc-maçonnerie de certains organistes et facteurs facilita ce changement d’orientation idéologique. Brigitte François-Sappey (in A. P. F. Boëly, 1989, p. 31) cite les noms de Balbastre, Séjan, Claude François Clicquot (fils et successeur de François Henri) ainsi que Jean-Jacques Beauvarlet-Charpentier, disparu à l’aube de la Révolution. Benaut semble une exception parmi ces artistes « éclairés » : ordonné prêtre dans les années 1780, il est guillotiné en 1794 malgré son adhésion à la constitution civile du clergé, accusé d’avoir « des intelligences avec les rebelles de Vendée » (Jean-Luc Perrot, préface à l’édition d’œuvres de Benaut, 2007). 

20 Pierre Hardouin, Les grandes orgues de la basilique Saint-Denis, p. 17 et note 3 p. 32. Malgré les efforts de son promoteur, cet instrument, qui eût certainement changé notre regard sur l’orgue révolutionnaire, demeura à l’état d’utopie.

21 Orgues à cinq claviers : cathédrale Notre-Dame, églises St-Sulpice, St-Gervais, St-Nicolas des Champs ; à quatre claviers : St-Merry, St-Médard, St-Laurent, St-Etienne du Mont, St-Leu-St-Gilles. 

22 Orgues à cinq claviers : St-Jacques du Haut Pas, St-Eustache (achevé en 1802) ; à quatre claviers : St-Germain des Prés (achevé en 1810), St-Nicolas du Chardonnet, St-Germain-l’Auxerrois, St-Philippe du Roule.

23 St-Roch, pillé par les soldats de Bonaparte occupant l’église (1795-1797) et reconstruit en 1805, St-Thomas-d’Aquin, ayant souffert de son démontage et rétabli en 1802.

24 Tous les instruments cités au début de cette étude (et d’autres construits plus tard comme Saint-Maximin-du-Var), furent préservés, sauf le chef-d’œuvre de St-Martin de Tours détruit en 1798 avec la basilique monumentale qui l’abritait.

25 Pierre Hardouin, Panorama de la facture d’orgue à Paris sous l’Ancien Régime in Orgues de l’Ile-de-France, tome IV, 1992. 

26 On remarquera que les instruments sauvés par la Commission temporaire des Arts forment la base de notre « Orgellandschaft » actuel. Il n’y manque que ceux des paroisses créées au XIXe siècle (Notre-Dame de Lorette, la Madeleine, Ste-Clotilde, St-Eugène-Ste-Cécile, Notre-Dame des Champs, etc.) qui seront construits par Cavaillé-Coll ou Merklin. On constate aujourd’hui un degré surprenant de conservation du matériel postclassique prérévolutionnaire : un instrument intact (St-Gervais), un autre ayant conservé sa tuyauterie et ses sommiers (St-Nicolas des Champs), un troisième intégré à un ensemble nouveau (St-Sulpice) et plusieurs subsistant partiellement (Notre-Dame, St-Germain-l’Auxerrois, St-Leu-St-Gilles, St-Merry, St-Laurent). La raison en est à chercher dans le conservatisme esthétique de la première moitié du XIXe siècle (cf. infra), suivi, sous le Second Empire, d’un appauvrissement du centre de Paris, la bourgeoisie d’affaire préférant émigrer dans les quartiers périphériques nouvellement créés.


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