Quelques souvenirs sur le concours de 1972 par Pierre Cogen
 

 

A l’automne de 1972, il y eut appel de candidatures pour le poste d’organiste du grand orgue de Saint-Nicolas des Champs. La nomination d’un nouveau titulaire était soumise aux résultats d’un concours dont les épreuves étaient fixées au dimanche 29 octobre après-midi. Je posais ma candidature auprès du curé de la paroisse. Il en accusa réception en m’adressant le programme des épreuves que je cite de mémoire :
– Tierce en taille de Louis Marchand
– Une œuvre de Jean-Sébastien Bach au choix
– Une pièce moderne au choix
– Un « cantique donné » à accompagner et sur lequel improviser trois versets (dont un pour conclure)
– Une improvisation de quelques minutes destinée à soutenir musicalement un moment liturgique donné.

Cinq candidats étaient annoncés, paraît-il, mais, à l’heure fixée pour les épreuves, nous n’étions que deux à nous présenter, Jean Boyer et moi. Je ne le connaissais pas et j’ignore s’il me connaissait. Je crois que nous nous rencontrions pour la première fois. Le jury, réuni autour du curé de la paroisse, était composé d’Édouard Souberbielle, Claude Terrasse, Michel Chapuis, Xavier Darrasse et André Isoir. On nous informa que nous serions seuls à la tribune, cachés par le Positif de dos, et que nous devions nous assister mutuellement : de ce fait, les thèmes d’accompagnement et d’improvisation se devaient d’être différents et on les tira au sort entre plusieurs enveloppes. Il n’y eut pas de « mise en loge » et l’ordre de passage fut laissé à notre initiative : on le tira nous-mêmes à pile ou face une fois arrivés à la tribune… Je jouais le premier. Avec le recul du temps, je suis encore amusé du fait qu’à la fin des délibérations, le jury ne nous ait pas demandé dans quel ordre nous avions joué. En revivant a posteriori chacune des épreuves (faut-il rappeler que chacun de nous a assisté l’autre), je comprends combien l’anonymat était une gageure :

– Ma « Tierce en taille » était au mieux un honnête déchiffrage1 alors que celle de Boyer « chantait » superbement.
– Pour Bach, le choix de mon concurrent, le 2ème des « Gloria » de Leipzig, avec cantus firmus au ténor, était certainement plus judicieux que le mien, le 1er mouvement de la 6ème sonate. Il sut rendre à merveille le caractère expressif du choral. Je ne peux en dire autant du trio de sonate : j’étais trop crispé pour le rendre vraiment fluide, comme me le dit à l’issue du concours l’un des membres du jury.

– En revanche, l’interprétation de la pièce moderne que j’avais choisie, le Te Deum de Langlais, fut remarquée et l’on m’en fit compliment après-coup. Je n’eus pas le sentiment que Jean Boyer fut très à l’aise avec le « Messiaen » qu’il avait choisi, « Transports de Joie ».

– J’avais une grande habitude de l‘accompagnement, Jean Boyer aussi sans aucun doute. Ses versets furent plus classiques que les miens, mais l’un comme l’autre, nous étions très à l’aise dans cette épreuve.

– Je ne pense pas faire injure à la mémoire de Jean Boyer en disant que sa dernière épreuve, une improvisation pendant l’imposition des cendres, le mercredi d’entrée en Carême, fut sans intérêt. Lui-même en avait parfaitement conscience puisqu’au bout de quelques minutes, tout en jouant, il me dit : « J’arrête… Je n’ai pas plus de raisons de continuer que d’arrêter.» … Nous avions bénéficié d’une formation musicale certainement très différente qui me donnait un net avantage pour « construire » une pièce, même improvisée, comme dut l’être la procession de communion pour le jour de la Toussaint qui m’était imposée.

J’avais tellement conscience d’avoir raté complètement les premières épreuves que je pensais n’avoir aucune chance. Je le dis à Boyer en quittant la tribune : « Le poste est pour vous ! ». Il hésitait à se prononcer.

Comme il se doit, j’ignore tout des délibérations du jury, mais elles me semblèrent une éternité. En fait, au bout de trois quarts d’heure – était-ce si difficile de nous départager – on nous convoqua. Le curé résuma les délibérations à peu près en ces termes : « Les deux candidats se valent, mais, compte tenu de l’esthétique de l’instrument2, Monsieur Boyer semble plus indiqué… ».

Ce n’est jamais agréable d’essuyer un échec mais celui-là me fut bénéfique puisque, paradoxalement, il m’a ouvert la tribune de Sainte-Clotilde. Mais ceci est une autre histoire…

Pierre Cogen

Vous trouverez une biographie ainsi que la discographie de Pierre Cogen aux adresses suivantes :
http://eol.asso.online.fr/concerts/Cogen%20Pierre.html
http://www.france-orgue.fr/disque/index.php?zpg=dsq.fra.rch&ior=1&org=Pierre%20COGEN



1 Je n’avais que peu de temps pour préparer le concours. L’œuvre de Marchand m’étant à peu près inconnue, il me fallait assimiler assez vite sa Tierce en taille. Malheureusement, l’œuvre de Marchand en comporte deux : notre seul interlocuteur étant le curé, je lui téléphonais. Les vagues renseignements que j’obtins me firent faire le mauvais choix : en arrivant pour les épreuves, je l’apprendrai de la bouche d’Édouard Souberbielle dont j’avais suivi les cours longtemps auparavant à l’école César Franck. Je lui montrais la Tierce en taille que j’avais préparée : « Non, c’est l’autre », me dit Souberbielle, « – Mais je ne l’ai pas travaillée. – Eh bien, vous la déchiffrerez ! ».

2 Je n’ai pu travailler qu’une fois sur l’instrument et encore brièvement puisqu’un office imprévu vint m’interrompre. Je n’ai pas eu le temps d’en faire le tour. Mais il me semble que son esthétique n’était plus aussi « classique » que la rumeur publique voulait bien le dire puisque les apports de Victor Gonzalez avaient certainement modifié l’esthétique de Clicquot… De plus, l’instrument n’était pas en bon état : je me souviens entre autres que, juste avant les épreuves, une flûte avait manifesté quelques velléités à « parler » sans qu’on le lui demande et que Michel Chapuis était « entré dans l’orgue » pour la réduire au silence…

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Emissions et concerts enregistrés par Radio France à Saint-Nicolas des Chamsp
le programme du concert hommage du 21 décembre 2008


 
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